Sur-nom, oblitération de soi
L'appellation d'un individu par son surnom est fréquente. Vieille tradition française en ce qui nous concerne, c'est d'ailleurs lui qui est à l'origine du nom. On appelait quelqu'un en fonction du lieu où il habitait, de son métier, en rapport à son aspect physique : Grosjean, Petit, Leroux... Toute particularité «hors norme» donnait lieu à une expression qui finalement devenait le trait de reconnaissance de celui-ci. Dans le cas des orphelins, c'est souvent le lieu où ils ont été abandonné qui leurs sert de nom, voire le jour, le mois où la saison. Aujourd'hui les noms ne s'inventent plus, on perpétue le sien. Difficilement au dire des instituts démographiques, avec 1,7 enfants par foyer, le renouvellement de la population n'est plus assuré et les noms de famille disparaissent les uns après les autres. Les statistiques ont montré que si la tendance ne se renversait pas, tous les noms disparaîtraient à l'exception d'un seul, le plus répandu à l'heure actuelle en France : Martin. Une société où il n'y aurait que des Martin, on n'ose l'imaginer, mais rassurons-nous, ce n'est prévu que dans quelques milliers d'années. D'ailleurs avec l'établissement de l'état civil beaucoup de ces surnoms ont disparu et les noms «adoptés» furent les prénoms d'origine : Martin, Vincent, Daniel, Rémy...
Le nom, dans le meilleur des cas donc, se perpétue et le surnom garde sa fonction de caractérisant. Un gros sera appelé Bouboule, un autre grosnez... dans le registre des «excroissance» physiques. Faute d'imagination, le surnom (ne pas confondre avec le diminutif) n'a d'autre fonction que de nommer autrement une personne. Il y a une part de dénaturation de l'individu, il n'est plus perçu comme entité mais comme une vue partielle. Alain, par exemple, qui est obèse, n'est que le support de son handicap, il n'existe qu'en «bouboule», s'il perd cette caractéristique, il n'a plus ni sens ni vie. Le surnom a par essence une nature déstructurante et génère des traumatismes directement lié à la caractéristique. «Quatzyeux», parce qu'elle porte des lunettes et que les autres insistent de ce fait sur son regard, aura-t-elle le voyeurisme ou l'exhibitionnisme comme névrose.
Mais ne nous égarons pas, cette nécessité, surtout enfant, de surnommer l'autre, ne fonctionne que sur un mode projectif. L'autre représente mes propres angoisses, il est le support de mes peurs sans nom. La différence physique de l'autre est prise comme une faiblesse, mais surtout il arrive à l'autre ce dont j'ai peur qu'il m'advienne à moi. Le surnom peut engendrer de graves complexes quand il a un caractère péjoratif, discriminant et rabaissant, combien d'adultes et surtout de femmes portent plus tard les stigmates d'une enfance chahutée. L'enfant blessée dans son identité de femme naissante. Qui n'a pas dans son entourage rencontrée cette situation. Où la femme est toujours trop grosse, trop maigre, trop petite ou trop grande, où la femme complexe sur ses mains, pieds, jambes, poitrine, cheveux. On ne pourra jamais empêcher les enfants de se moquer les uns des autres. C'est où le parent a un rôle prépondérant, non dans celui de rassurer : «mais non tu n'es pas gros», bien sûr que si il l'est et l'enfant le sait, ce genre de démarche contribue à accentuer ce complexe, ce mal-être. Mais plutôt une démarche d'acceptation de soi comme on est, apprendre à s'aimer au travers de soi et non au travers du regard des autres. D'ailleurs l'enfant dans ses railleries ne s'adresse qu'à l'être déjà blessé, un enfant qui ne tient cas des moqueries liées à une différence physique ou intellectuelle ne sera jamais la proie des autres. Il y a une part de cruauté dans ce type de comportement, je ne sais pas s'il est nécessaire dans l'apprentissage de la vie comme on le dit si souvent, apprendre à endurer la moquerie de l'autre.