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    Le Nécronyme : La mort et le prénom

     

     

    Dans certaines familles la tradition est fortement ancrée lors du décès d'un enfant en bas âge : celui qui suivra portera le prénom du défunt. Il est malheureusement fréquent d'observer des enfants psychotiques parce que les parents leur avaient donné le prénom d'un grand frère ou d'une grande soeur mort prématurément. Mais sans tomber aussi loin, qui niera l'impact négatif d'une telle démarche. Un homme meurt mais son nom reste.

     

     

     


    D'ailleurs, il y a de fortes chances que cet enfant ait des difficultés à dormir, qu'il soit victime d'insomnies et passe ses nuits à «brailler». C'est sa façon à lui de répondre à ses parents. Le sommeil répond à la pulsion de mort, en ne dormant pas, en pleurant l'enfant exprime qu'il est en vie, manière pour lui de rassurer ses parents. Ce cas se rencontre fréquemment également chez les enfants dont les parents nourrissent des angoisses sur son sommeil et la mort : «dors-t-il bien, ne va-t-il pas s'étouffer...» C'est cet exemple de l'enfant portant le prénom d'un autre mort qui m'a amené à réfléchir un peu plus sur la portée d'un tel choix. En donnant un prénom à un enfant, on crée un traumatisme, on reproduit une problématique et même une psychanalyse entreprise pour se «sécuriser» quant à ce qu'on transmet à son enfant n'y changera rien, si ce n'est savoir quoi.

    Je pense que le terme de «reproduction» est tout à fait approprié, l'être humain se reproduit, assure sa descendance, mais reproduit aussi ses troubles intérieurs et pire encore les déplace sur son propre enfant.

     

     

     


    Dans certaines tribus africaines, soumettre et bannir un individu de la tribu consiste à lui retirer son nom et l'affubler d'un surnom, cette absence de nom entraîne bien souvent la mort de celui-ci. La notion de mort et de nom est très ancrée dans toutes les sociétés. Freud, dans Totem et Tabou, relatait le mystère qui régnait autour du nom de l'individu. Ce nom, dans des tribus primitives se devaient d'être ignoré et caché de l'ennemi sous risque qu'en le tuant il l'en déposséda. La magie qui permettait de retirer le nom de son ennemi était très redouté. Plus connu encore et plus redouté est cette croyance qu'un enfant mort sans qu'on ait pu lui donner un nom ne peut trouver le repos et se retrouver condamné à errer et hanter les vivants jusqu'à ce que le préjudice soit réparé. D'autres persistent à croire que le prénom de l'enfant ne doit en aucune manière être révélé avant qu'il ne soit baptisé sans risquer qu'il ne soit échangé par des enfants de fées (Nom, Prénom. Ed Autrement. Sept 94) ou bien qu'il ne sera pas sauvé tant qu'il n'aura pas reçu son nom de baptême. Une croyance consiste encore à ne pas prénommer son enfant comme celui d'un parent encore vivant de peur que celui-ci ne soit précipité plus rapidement vers la mort.

     

     

     


    Dans la cinématographie on retrouve certains schémas bien caractéristiques également, le moment où le méchant vient d'être abattu par le gentil (ou l'inverse) et qui ne se résout pas à mourir tant qu'il ne n'entendra pas le nom de celui qui l'a tué, une manière de mourir en paix, imaginez quelques instants la scène, on l'a retrouve dans de nombreux films. Il faut voir le visage puis pouvoir donner un nom à celui qui précipite dans la mort comme s'il ne trouverait pas le repos éternel avec cette ignorance. Dans la majorité des films policiers d'ailleurs, le «but du jeu» est de trouver le nom de celui qui tue, c'est autour du mystère de son nom que se joue le suspense. On joue d'autant plus avec les nerfs du spectateur lorsque celui-ci n'a aucune idée de la solution ou que tour à tour se déplace sur différents personnages le nom du «tueur».

     

     

     


    Un être sans nom c'est une âme sans corps, ce qui peut arriver de pire. Nos sociétés dites évoluées et civilisées gardent pourtant cette empreinte, le prénom ne change pas mais celui qui le porte. D'ailleurs la loi ne nous permet pas de changer de prénom ou de nom durant notre existence (à part de rares exceptions). Ce qui fait sourire nombres de tribus indiennes qui eux changent de noms à maintes reprises, en fonction de l'air du temps, de leur chemin spirituel parcouru. Cette possibilité d'avoir plusieurs noms se retrouvent aussi chez les chinois. On ne devient pas chez eux l'image de soi au rapport unique à son nom mais l'on est tout simplement et c'est ce que l'on est qui se modifie et donc porte ou supporte d'autres appellations.

     

     

     


    En France, c'est bien évidement inconcevable, l'expression «un prénom pour la vie» vient nous le rappeler. Cette possibilité viendrait ébranler tout notre système administratif, on ne saurait plus qui est qui ou qui était qui et quand. Le recours au surnom, au pseudonyme exprime clairement ce désir de changer dans des instants de sa vie de nom, il est source de névroses que l'on étudie d'ailleurs. C'est la seule possibilité qui nous soit donné. Comme l'agencement d'une pièce, ou de la place d'un tableau, on emploie tour à tour surnom, diminutif, pseudonyme, est-ce forcément jouer à d'autres personnages que soi, est ce forcément les prémices d'une schizophrénie latente ou tout simplement est-ce le besoin d'exprimer chaque partie de soi qui permet de ne faire qu'un. D'ailleurs ce sont soit les autres soit nous même qui nous affublons d'autres noms. Changer de nom pour changer de vie ou sa manière de voir. «Sois pluriel comme l'univers» aimait à dire Fernando Pessoa dont on connaît peut être les écrits et la multiplicité des pseudonymes qu'il a employé.

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